Le cas de Maman Coundoul, qui a simulé une grossesse jusqu’à terme, incite votre journal à faire un diagnostic de la pression sociale subie par certaines femmes mariées en attente de leur premier enfant. Des confessions intimes nous ont permis de cerner ce phénomène très mal vécu par les femmes qui tardent à contracter une grossesse, après plusieurs années de mariage.

La simulation de grossesse défraie actuellement la chronique, avec le cas de Maman Coundoul qui a inventé un enlèvement suivi d’accouchement, puis du vol du bébé. Une situation que certaines femmes expliquent par la pression sociale faite de questions qui dérangent, et qui pointent leur responsabilité à ne pas pouvoir enfanter. Les témoignages des victimes en disent long sur ce qu’elles endurent tous les jours, avec des remarques désobligeantes du genre : « Qu’est-ce que tu attends pour avoir un enfant ? »

« Mon mari refuse qu’on aille ensemble se faire consulter »

Sous le couvert de l’anonymat, une jeune dame d’une vingtaine d’années s’est confiée à votre journal. « Je me suis mariée avec un émigré, depuis maintenant 5 ans. Je n’ai pas encore d’enfant, mais j’ai eu une fausse couche, un an après mon mariage », dit-elle, avec beaucoup de tristesse, avant de poursuivre : « J’ai fait toutes les analyses, y compris l’hystérosalpingographie. Le résultat est que je n’ai aucun problème. Mon mari refuse qu’on aille ensemble se faire consulter ». Elle se dit inquiète, à cause des absences de son mari. « Je me demande parfois comment on peut faire un enfant avec quelqu’un qui n’est pas là », regrette-t-elle. Toutefois, elle s’en remet au Bon Dieu pour qu’un jour, elle soit maman.

«Après dix ans, mon mari a été diagnostiqué d’azoospermie »

Fatou Diop (nom d’emprunt) vit la même situation. Mariée depuis 10 ans avec un émigré vivant aux Etats-Unis, elle attend toujours son premier enfant. « Depuis 5 ans, je vis avec lui aux USA. Il venait chaque année, pour un mois, avant de retourner. Aussitôt après son départ, sa mère me demandait si je n’étais pas allée à l’hôpital pour une consultation. Une façon pour elle de savoir s’il m’a laissé quelque chose », raconte-t-elle avec beaucoup de peine. Elle soutient qu’avant l’arrivée de son mari, elle allait se faire consulter par un gynécologue pour booster sa fertilité. « J’avais aussi un petit fibrome qui ne m’empêchait pas d’enfanter, car trois gynécologues différents me l’avaient confirmé. Mais je ne pouvais pas contracter de grossesse », renseigne-t-elle désespérément. Cette jeune dame ne s’est pas limitée seulement à la médecine moderne. Elle a aussi eu à faire recourir à celle traditionnelle. « J’allais aussi voir des tradipraticiens, dans des villages reculés », narre-t-elle. Notre interlocutrice a subi une myomectomie afin d’enlever les myomes et après 6 mois, elle ne pouvait pas contracter une grossesse. Trois ans après, j’attends toujours une grossesse et mon mari refuse de se soigne, car il a eu trois enfants de son précédent mariage », regrette-t-elle. Aujourd’hui, elle a même peur d’appeler sa mère-belle qui lui demande si elle n’est pas allée voir un gynécologue. Ce n’est que récemment qu’elle a découvert que son mari est en déficit de sperme, après un spermogramme. « C’est là qu’il s’est résolu à accepter que le problème venait de lui, et j’ai exigé qu’il le dise à sa mère. Et depuis lors, je vis mieux ce retard de grossesse », dit-elle.

« En huit ans de mariage, je découvre que mon mari souffre de varicocèle bilatérale, d’une oligospermie sévère et une asthénospermie »

Maman Coundoul est loin de vivre seule cette situation. A. T raconte son calvaire. « Je me suis mariée à l’âge de 21 ans. J’ai fait 8 ans de mariage sans enfant. Pendant les quatre premières années, j’ai fait presque le tour des hôpitaux du Sénégal et on ne m’a jamais détecté une anomalie qui m’empêcherait de concevoir. J’ai demandé à mon mari de faire, à son tour, un effort et de se faire consulter. Chose qu’il a catégoriquement refusée », se désole-t-elle, avant de poursuivre : « Il a fallu l’intervention d’un de ses parents pour qu’il accepte, et à ma grande surprise, il avait la varicocèle bilatérale, en plus d’une oligospermie sévère et d’une asthénospermie. Il a subi, plus tard, une intervention chirurgicale, mais le résultat de ses analyses reste toujours négatif, entre l’azoospermie, l’oligospermie sévère et l’oligospermie modérée ». Cette jeune dame a finalement décidé de divorcer quand son mari est venu lui dire qu’il a mis enceinte une fille. « Je lui ai demandé de faire un test de paternité, mais lui et sa famille ont refusé », s’étonne-t-elle. Ses problèmes ont alors commencé avec cette affaire, en plus des sarcasmes dont elle est la victime, de la part de sa belle-famille. « J’ai décidé de demander le divorce et de m’en remettre au Bon Dieu », dit-elle.

«En tant que médecin, beaucoup pensent que je fais de la contraception »

Les professionnelles de santé ne sont épargnées par ce regard de la société. C’est le cas de ce jeune médecin qui attend toujours son premier enfant. « On me taxe de faire une planification familiale, car de leur avis, si je voulais un enfant, je pourrais en avoir sans problème, en tant que praticienne », déplore-t-elle. Puis elle martèle : « Chaque cycle menstruel est un espoir perdu, une vie effondrée. Je suis une personne très forte, mais il y a des moments de faiblesse, des moments où tu te demandes pourquoi toi ». Cette jeune praticienne continue de prier et d’implorer le Bon Dieu pour avoir un enfant. « Il faut juste regarder autour de vous pour vous rendre compte que le moment n’est pas encore venu, surtout quand je vois celles qui meurent en couches ou qui perdent leur enfant après l’accouchement », tente-t-elle de se consoler.

MOR TINE, SOCIOLOGUE

« La société considère à tort ou à raison que c’est à la femme de procréer »

Le sociologue Mor Tine a fait un diagnostic de cette situation très mal vécue par les femmes. Selon le spécialiste, la société considère à tort ou à raison que c’est à la femme de procréer »

Qu’est ce qui explique ce phénomène ?

Ce phénomène trouve son explication dans la société. Il faut d’abord comprendre la configuration socio-culturelle du Sénégal surtout en ce qui concerne spécifiquement les rapports sociaux de sexe. La société sénégalaise est très exigeante envers la femme. Elle a un double rôle de production et de reproduction. Et effectivement, en ce qui concerne le dernier, la société considère à tort ou à raison que c’est à la femme de procréer. Or la procréation est une affaire de couple, de conjoints et donc des deux sexes. Mais, on a tendance à tout mettre sur la femme. De ce point de vue, quand il la femme tarde à avoir d’enfant, elle fait l’objet de reproches souvent très virulents et d’une stigmatisation de la part souvent de sa famille d’accueil. Ces critiques sont à différentes échelles. D’abord, cela commence par le mari, ensuite la belle famille, le quartier etc. Maintenant, celles qui sont incapables de résister à cette pression ont tendance à trouver des stratagèmes pour sinon masquer, du moins à moindre le poids social qui résulte de cette situation somme toute gênante.

La pression sociale y joue-t-elle un rôle ?

Tout à fait, on peut dire que c’est la pression sociale qui en est la cause efficiente. Maintenant, il faut aussi reconnaître qu’il y’a d’autres facteurs sur le plan individuel mais également sur le plan structurel. Sur le plan individuel, il faut quand même pointer du doigt l’attitude de certaines victimes qui en voulant trouver des solutions finissent par se créer davantage de problèmes. Pour le cas d’espèce par exemple, on n’est passé d’un problème familial ou de quartier à un fait viral qui a fini par prendre une envergure nationale. Sur le plan structurel, il faut noter l’absence de structures ou de dispositifs de prise en charge efficace de ces cas. Le soutien clinique et psychologique fait souvent défaut.

Qu’est-ce qu’il faut aujourd’hui, pour accompagner les femmes en attente du premier bébé

Pour accompagner les femmes en attente du premier bébé, il faut d’abord considérer le phénomène comme un fait social total pour parler comme Marcel Mauss. On n’y trouverait pas de solution si on continue à se focaliser sur la femme seulement. Souvent ce n’est pas seulement la femme qui attend le premier bébé mais son mari aussi. Ainsi, le premier soutien de la femme en de pareilles circonstances ce doit être son mari. Ensuite la famille d’accueil et d’origine et tout l’entourage. Ce sont souvent des situations dont les solutions ne sont pas loin. Mais, on les dramatise en tel enseigne qu’on perde de vue le plus important, c’est-à-dire trouver la cause. Dans bien des cas, il s’agit de pathologies qui peuvent être guéries. Celles-ci peuvent être du côté de l’homme, de la femme ou des deux. Il faut aussi une prise en charge médicale et psychologique de ces cas. La pression sociale ne constitue pas une solution au problème mais plutôt un facteur d’enlisement ou de développement de problèmes subsidiaires comme ce cas d’enlèvement simulé.

NGOYA NDIAYE ( REWMIQUOTIDIEN)