Ce lundi, le Sénat a présenté les résultats d’une commission d’enquête portant sur les pratiques des industriels de l’eau en bouteille. Cette initiative fait suite à plusieurs révélations concernant le contournement de la réglementation par des acteurs majeurs du secteur, avec un accent particulier sur Nestlé Waters. Le rapport, consulté par Public Sénat, met en avant non seulement les agissements de ce géant, mais également l’inaction des pouvoirs publics, avertis de la situation depuis plusieurs années.

Le rapport souligne un vaste scandale sanitaire avec des implications allant jusqu’à Matignon et l’Élysée. Il révèle que plusieurs grands acteurs de l’eau minérale naturelle ont abusé de traitements illégaux tout en bénéficiant de la complaisance des autorités, qui étaient au courant dans certains cas depuis longtemps. Nestlé Waters, propriétaire des marques Vittel, Hépar, Contrex et Perrier, est particulièrement ciblé pour avoir utilisé des techniques de filtration et de désinfection interdites, tout en faisant pression sur le gouvernement pour ajuster la réglementation en sa faveur.

«D’après le rapport, la présidence de la République avait connaissance, au moins depuis 2022, des fraudes de Nestlé, de la distorsion de concurrence avec d’autres minéraliers, ainsi que de contaminations bactériologiques et virologiques potentielles sur certains sites», révèle le document, fruit de travaux menés depuis décembre dernier.

Pilotée par le sénateur Laurent Burgoa (Les Républicains) et rapportée par Alexandre Ouizille (PS), cette commission d’enquête a été mise en place après que des révélations du Monde et de Radio France, en janvier 2024, mettent en lumière les pratiques douteuses de Nestlé Waters. Il est important de rappeler que la production d’eau minérale est encadrée par des normes strictes stipulant que sa pureté originelle ne doit jamais être compromise par des procédés de désinfection.

Il convient de noter que l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) permet depuis 2001 la filtration des eaux minérales, mais seulement avec des filtres spécifiques de 0,8 micron ou plus. Nestlé a, cependant, fait usage de filtres à charbon actif et de traitements ultraviolets dans ses installations. À l’issue de ces injustices, le géant a adopté une microfiltration à 0,2 micron, avec une approbation tacite des autorités gouvernementales.

La commission d’enquête décrit une «stratégie délibérée de dissimulation». En août 2021, Nestlé a informé le ministère de l’Industrie de ses méthodes de désinfection tout en proposant un plan de transformation pour passer à une filtration conforme, un processus dont la validité juridique n’était pas assurée. Le rapport souligne que les pouvoirs publics se sont limités à saisir l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) sans transmettre le dossier à la justice, malgré la fraude qu’elle représentait.

Une fragmentation des compétences entre diverses agences a conduit à une absence de contrôle adéquat, blâmant l’inertie des autorités face à une situation clairement illégale. Le rapport déplore une intention de garder l’affaire confidentielle, notifiant qu’il n’y a pas eu de volonté politique d’interrompre la commercialisation des produits non conformes.

Les sénateurs font état des pressions exercées par Nestlé, qualifiant l’attitude du groupe de «transactionnelle» en liant l’autorisation de la microfiltration à l’arrêt des traitements illégaux. Le rapport indique également que le ministère de l’Industrie a servi de relais au lobbying de Nestlé, soutenant ses demandes jusqu’à ce qu’un arbitrage soit rendu, souvent sans que la Première ministre en ait connaissance.

À ce jour, Nestlé Waters ne respecte toujours pas la réglementation, avec une mise en demeure récente du préfet du Gard afin qu’elle retire ses filtres non conformes.

Pour clore leur enquête, les sénateurs formulent 28 recommandations visant à renforcer les contrôles sur les eaux minérales, insistant sur l’importance d’opérations rapides par les préfets pour vérifier la mise en conformité de toutes les installations et améliorer l’indication aux consommateurs concernant les techniques de filtration utilisées. Une initiative jugée cruciale pour rétablir la confiance et garantir la sécurité sanitaire du secteur. Zaynab Sangarè