Hier, lors de sa conférence au grand théâtre national Doudou Ndiaye Coumba Rose, Ousmane Sonko s’est adressé à ses militants avec peine pour démontrer son rôle d’homme d’État. Devant une audience de partisans, le président politique du Président de la République, Bassirou Diomaye Faye, a présenté une démonstration de force, évoquant davantage un syndicaliste en campagne qu’un homme d’État. Le thème officiel, « L’apport de la jeunesse sur le projet », a été éclipsé par des invectives à l’encontre de la presse, menaçant les journalistes de représailles s’ils ne rapportaient pas « la vérité ». Ces attaques ont suscité un débat intense et stérile dans la ville.

Ibrahima Bakhoum, analyste politique: « Les Propos des dirigeants, sources de déstabilisations du pays »

Ibrahima Bakhoum, analyste politique a exprimé des préoccupations sur le rôle des dirigeants politiques dans la stabilité nationale. Selon lui, l’information doit être exacte, juste, impartiale, équilibrée et pluraliste. Cependant, il dénonce un manichéisme radical chez certains journalistes qui, en prenant parti, trahissent leur profession et mettent en péril la démocratie.

« Les journalistes ont la responsabilité d’informer de manière démocratique avec l’argent du contribuable, afin de permettre à ce dernier de faire des choix éclairés lors des élections », a déclaré Bakhoum. Il insiste sur le rôle crucial des journalistes dans le signalement des discours inappropriés des politiques, soulignant qu’ils doivent parfois dire non à ce qui est dit.

Pr.Bakhoum critique également le ton hautain des dirigeants, affirmant que leurs propos peuvent déstabiliser le pays. « C’est une grave erreur de communication, et il vaut mieux corriger cela maintenant », a-t-il ajouté. Il a salué Ousmane Sonko pour avoir reconnu ses erreurs et encouragé à les corriger.

Il a rappelé que les journalistes ne sont pas au-dessus des lois et doivent critiquer honnêtement en pensant à l’intérêt général. « Aucune autorité ne peut dicter une ligne éditoriale aux médias », a-t-il affirmé. Il a souligné que chaque média a sa propre ligne éditoriale, et que celle-ci doit viser la cohésion sociale, l’unité nationale et la formation de la conscience citoyenne.

Le brillant analyste politique a conclu en rappelant que les dirigeants sont au pouvoir grâce à la confiance des Sénégalais, qui ont exprimé leur ras-le-bol vis-à-vis de l’ancien régime. « Ce qui est contre la liberté d’expression est contre la démocratie, et ce qui est contre la démocratie est contre le pays », a-t-il averti. Les journalistes doivent avoir la liberté de collecter, traiter et diffuser des informations pour maintenir une démocratie saine et informer le public de manière équitable.

Cheikh Sadbou Mbaye au marché HLM : Des doutes sur Ousmane Sonko

Vers 11 heures, le marché HLM est en pleine effervescence. Les vendeurs appellent leurs clients, tandis que ces derniers se faufilent de table en boutique, à la recherche de vêtements, chaussures ou accessoires pour la Tabaski. Cheikh Sadbou Mbaye, assis sur une chaise à côté du commerçant de Gethzneir, partage son avis tranché sur Ousmane Sonko.

« Ousmane Sonko ne changera jamais. Après ses discours violents, il faut s’attendre à de la répression et à une véritable dictature. Sonko est en manque de la rue, des foules et de la violence ; il ne peut pas rester entre quatre murs sans qu’on parle de lui », affirme-t-il avec conviction.

Mbaye critique également le timing et le contenu du dernier discours de Sonko. « Sa sortie d’hier est inopportune. En ces jours de grâce, il devrait se concentrer sur des problèmes concrets comme la réduction du prix du riz, du gaz, de l’huile, des transports et du loyer, comme il l’avait promis aux Sénégalais pour ses deux premiers mois au pouvoir. »

Selon Mbaye, rien de ce qui a été promis n’a été réalisé. « Ousmane Sonko va rendre le pays hostile. Il ne sait que pratiquer la violence contre toutes les voix qui ne lui sont pas favorables. C’est triste, mais c’est l’analyse objective que j’ai tirée de sa sortie politique d’hier », conclut-il.

Mamadou Jacob Sy : « Ousmane Sonko, un artisan du chaos prévisible»

Coincé dans les embouteillages derrière un camion poubelle, Mamadou Jacob Sy, expert en énergie solaire, appelle à plus d’organisation. Sy, critique acerbe d’Ousmane Sonko, ne cache pas son scepticisme. « Pour moi, tôt ou tard, Ousmane Sonko créerait le chaos dans ce pays. Si ce n’était pas en tant qu’opposant, ce serait lorsqu’il serait au pouvoir », déclare-t-il.

Il accuse la presse sénégalaise d’avoir contribué à cette violence. « La presse a pris sa part de cette violence qu’elle a toujours voulu expliquer ou défendre quand il était opposant », affirme Sy. Il critique également les journalistes pour avoir offert une tribune à des individus qu’il considère comme dangereux. « On ne sait plus qui est journaliste et qui ne l’est pas. On voit des journalistes tendre le micro à des agresseurs, des bandits, des inconscients qui n’ont aucune notion des réalités d’un gouvernement ou d’un pays. »

Selon Mamadou Sy, les médias sénégalais sont gangrenés par de mauvaises pratiques, exacerbées par une forte exode rurale qui entraîne une concentration excessive à Dakar et accroît les inégalités sociales. Il déplore que cette situation nourrit des ambitions irrationnelles et de la haine chez les non-instruits, manipulés par des discours politiques incendiaires comme ceux de Sonko.

« Sonko a toujours donné de la force et de l’audace aux non-instruits, qui sont sa cible. Avec ces petites têtes, il a réussi à monter une foule contre le reste des 18 millions de Sénégalais et il transforme cette foule en ‘peuple sénégalais’. C’est incroyable de voir à quel point les populistes peuvent manipuler les masses », poursuit Sy.

En fin, Mamadou Jacob Sy prévient que la presse ne pourra échapper aux conséquences de ce climat de violence. « Après plus de 80 jeunes morts sans coupables, ce sera au tour de la presse qui a créé ce phénomène contre le Sénégal de répondre de ses actes. »

Matar Diagne : cette presse nationale a toujours lutté pour la démocratie

Dans les rues animées de la ville, Matar Diagne exprime ses préoccupations quant à la situation politique récente, notamment les récentes menaces d’Ousmane Sonko à l’égard de la presse. Pour Diagne, qui se considère comme apolitique, ces menaces ne sont pas une surprise.

« Cette presse nationale a toujours lutté pour la démocratie, mais aujourd’hui, tout le monde est journaliste, tout le monde est chroniqueur, et c’est là le problème », déclare-t-il. Il critique vivement le contenu médiatique, affirmant qu’il est souvent de qualité médiocre et dépourvu de pertinence.

Diagne avoue même avoir cessé de regarder la télévision en raison de ce qu’il considère comme des « bêtises » propagées par les journalistes. Il exprime également ses craintes quant à la possibilité pour un homme politique de s’en prendre à ceux qui le soutiennent, facilitant ainsi leur manipulation.

« Les priorités sont ailleurs », souligne-t-il. « Rien n’a été fait depuis deux mois, à part des mensonges quotidiens. Sonko devrait nous parler de sa politique en faveur de la jeunesse, nous éclairer sur la baisse des prix du loyer, de l’électricité, du riz, du sucre, de l’huile… L’hivernage approche, un simple set settal suffira-t-il ? » interroge-t-il, mettant en lumière les préoccupations quotidiennes des citoyens ordinaires qui attendent des réponses concrètes de leurs dirigeants.

Fatima Lazarat : appelle les journalistes sénégalais à faire preuve de force pour protéger la démocratie

Fatima Lazarat, vendeuse de parfum de luxe, livre un témoignage poignant sur les récents événements politiques au Sénégal. Pour elle, l’implication dans la politique est devenue un risque depuis l’émergence de Pastef, le parti d’Ousmane Sonko.

« Depuis l’avènement de Pastef, mon magasin a été pillé lors des manifestations sur l’affaire Adji Sarr-Sonko. J’ai tout perdu, et je sais que les coupables ne sont pas loin, car dans nos échanges, j’ai toujours exprimé mon désaccord avec Sonko », explique-t-elle avec une tristesse palpable.

Lazarat, qui réside à Dakar depuis 1982, déplore l’essor des discours haineux depuis l’arrivée de Pastef sur la scène politique sénégalaise. Elle soupçonne que ceux qui l’ont insultée ont profité des manifestations pour détruire sa boutique.

« Depuis leur accession au pouvoir, ma communauté et moi vivons dans la peur, car nous sommes déjà confrontés à des injustices raciales. Avec le discours contre la presse, nous percevons vraiment une menace de dictature en marche », confie-t-elle, exprimant son inquiétude sous un voile de désolation.

Elle appelle les journalistes sénégalais à faire preuve de force pour protéger la démocratie et la stabilité dans leur pays bien-aimé, soulignant ainsi les défis auxquels est confrontée la société sénégalaise dans son ensemble.

Nadia Salem, esthéticienne: Appel à la vigilance des journalistes

Nadia Salem, repérée non loin de la boutique sur sa moto, exprime sa compassion envers la presse sénégalaise face au gouvernement de Pastef.

« Vous devez savoir que les politiciens, une fois au pouvoir, changent de discours », souligne-t-elle. « Sonko est un populiste très puissant et radical. Il a réussi à rallier à sa cause une certaine jeunesse fanatique qui le voit comme un prophète sur terre. Gérer ses discours n’est pas facile, mais en tant que journalistes, faites votre travail professionnellement et barrez-lui la route. Avec son discours d’hier, il a clairement montré que vous êtes ses adversaires, et c’est très dommage », déplore-t-elle.

À travers les témoignages recueillis, un constat émerge : la société sénégalaise est confrontée à des défis politiques et sociaux majeurs. De la peur des répercussions politiques sur les commerçants, comme Fatima Lazarat, aux inquiétudes concernant la montée du populisme et la menace potentielle sur la liberté de la presse, exprimées par des citoyens comme Matar Diagne et Nadia Salem, il est clair que le pays est à un carrefour critique de son histoire. Ces reportages révèlent la nécessité d’une presse forte et indépendante, capable de résister aux pressions politiques et de défendre les valeurs démocratiques fondamentales. En fin de compte, ils appellent à une vigilance accrue et à un engagement continu en faveur de la démocratie et de la justice sociale au Sénégal. Zaynab SANGARÈ