La désinformation est devenue au Sénégal un enjeu central pour la gouvernance et la stabilité démocratique, portée par l’essor des réseaux sociaux et l’usage intensif du numérique. Dans un environnement informationnel saturé, certains acteurs politiques, influenceurs ou figures religieuses utilisent leur visibilité pour diffuser des contenus erronés ou volontairement falsifiés.

Ce phénomène se distingue par la rapidité de sa propagation et par sa capacité à passer des plateformes numériques aux médias traditionnels. Des rumeurs apparues en ligne se retrouvent fréquemment reprises sans vérification par des radios communautaires, des sites peu rigoureux ou des chaînes de télévision à la recherche d’audience ; ce qui donne une légitimité apparente qui renforce leur portée.

Entre 2023 et 2024, plusieurs épisodes ont illustré l’impact de cette désinformation organisée lors de la campagne présidentielle de 2024. L’ancien Premier ministre Amadou Ba a été la cible de plusieurs rumeurs devenues virales sur les réseaux sociaux. Selon ces rumeurs, l’homme politique ne serait pas de nationalité sénégalaise, mais guinéenne.

Le 10 septembre 2023, le compte Facebook d’un activiste connu sous le pseudonyme « Akhenaton Aton », présenté comme proche du parti politique Pastef, alors dans l’opposition, a alimenté cette rumeur qui a servi d’outil de délégitimation politique d’Amadou Ba, candidat du parti au pouvoir.

 Capture d’écran de la publication de l’activiste Akhenaton Aton sur Facebook

Cette publication a généré plus de 1 300 likes, 424 commentaires et 501 partages. Avec plus de 58 000 followers sur Facebook, l’activiste Akenathon Aton, de son vrai non Ousseynou Seck est fréquemment cité dans plusieurs affaires de diffusion de fausses nouvelles et de propos contraires aux bonnes mœurs, dont la plus récente lui a valu un mandat d’arrêt international, comme le rapporte SeneNews en octobre 2025.

La rumeur propagée par l’activiste politique a été abordée dans certaines émissions de radio et de télévision, parfois sous forme de débat ou de simple question posée, sans jamais remettre en cause sa véracité de l’accusation. 

L’exemple tangible est cette émission du média 2A TV diffusée sur YouTube le 16 janvier 2024, à 3 mois des élections présidentielles. Cette amplification médiatique, souvent sans vérification sérieuse, a contribué à semer le doute dans l’esprit de certains électeurs.

Capture d’écran de l’émission de la chaine YouTube du média 2A TV

Cette rumeur, transformée en information, est rapidement devenue virale a été très virale sur les réseaux sociaux, renforcée par des spéculations et idéaux nationalistes menés lors de la campagne électorale. Plusieurs potentiels électeurs pro-nationalistes étaient réticents face à la candidature d’Amadou Ba, qu’ils ont surnommé « Amadou Pita Ba » sur Facebook et sur TikTok.

Capture d’écran de l’audience des publications avec le sobriquet Amadou Pita Ba sur X

Dans les commentaires sur la publication de l’activiste, on observe une capture d’écran qui ne correspond pas à une publication authentique de Wikipédia, mais un exercice de publication non réussi. Ce qui renforce l’hypothèse de la manipulation de l’information sur le profil Wikipédia de l’ancien Premier ministre dans le but de nuire à sa candidature aux élections présidentielles.

Capture d’écran de la manipulation de l’information sur le profil Wikipédia d’Amadou Ba

Rumeurs médiatisées sur la santé d’Ousmane Sonko

Figure emblématique de l’opposition au régime du président Macky Sall et actuel Premier ministre, Ousmane Sonko a fait l’objet de folles rumeurs largement relayées par les médias lors de son incarcération début 2023. Selon ces rumeurs, il aurait été victime d’empoisonnement ou plongé dans un coma artificiel. 

Malgré les démentis systématiques des proches, ces rumeurs ont semé l’inquiétude, provoqué des rassemblements spontanés et ravivé les tensions politiques. Sur les réseaux sociaux, des publications alarmistes faisaient état d’un prétendu coma, d’une hospitalisation en urgence ou d’une dégradation critique de son état physique. 

Ces messages étaient souvent illustrés par des images ou des documents non authentifiés, diffusés sans vérification préalable, ont été amplifiés sur les réseaux sociaux par des partisans et militants des partis d’oppositions et repris par des médias locaux et internationaux.

Capture d’écran de l’audience des publications sur l’empoisonnement présumé d’Ousmane Sonko en prison

Ces rumeurs ont été minimisées par certains responsables politiques, à l’image du ministre Mame Mbaye Niang, qui a publiquement déclaré qu’« il n’y a rien de grave ». Parallèlement, d’autres contenus liés à cette affaire ont continué de circuler sur les réseaux, notamment sur Facebook, renforçant la confusion et la polarisation autour de l’état de santé d’Ousmane Sonko.

Capture d’écran d’une publication sur Facebook de SeneNews sur la déclaration du Ministre Mame Mbaye

La tension a franchi un nouveau seuil en novembre 2023 lorsqu’un courrier, présenté comme émanant de l’administration pénitentiaire et adressé à la ministre de la Justice, a fuité sur les réseaux sociaux. Le document évoquait le transfert d’Ousmane Sonko au pavillon spécial de l’hôpital en raison de « vomissements, d’une fièvre élevée et d’une perte de connaissance ».

Bien que l’authenticité de cette correspondance n’ait jamais été confirmée, sa diffusion massive a suscité une vive inquiétude. Relayée sans précaution par de nombreux comptes sur Facebook et Twitter, cette fuite a provoqué une onde de choc parmi les militants et sympathisants du leader politique, déjà préoccupés par son état de santé depuis le début de sa grève de la faim.

Quelques jours plus tard, lors d’une conférence de presse retransmise en direct par plusieurs chaînes de télévision, Aïda Mbodj, présidente de la coalition « Diomaye Président », a craqué sous l’émotion. En larmes, elle a alerté sur la gravité de la situation, allant jusqu’à déclarer que le pays courait « le pire ».

Cette séquence, largement reprise par les médias traditionnels et les plateformes en ligne, a contribué à renforcer le climat de peur et à intensifier la dramatisation autour de l’affaire Sonko.

Capture d’écran de quelques articles de presse sur les rumeurs sur l’état de santé d’Ousmane Sonko

La reprise massive de ces informations par plusieurs médias a contribué à créer un véritable choc émotionnel collectif. Ce climat de forte empathie a potentiellement influencé une partie de l’opinion publique, notamment les électeurs indécis, sensibles à l’image de victime associée à Ousmane Sonko.

L’émotion, devenue un levier politique, a pris le pas sur les faits vérifiés. Dans cet écosystème, les médias locaux ou internationaux, par manque de rigueur ou sous pression concurrentielle, servent parfois de caisse de résonance. Qu’ils soient complices actifs ou relais passifs, ils participent à la légitimation de récits approximatifs, voire mensongers.


 

Ce rapport a été produit par Zaynab Sangaré dans le cadre du programme d’incubation du Programme de bourses African Academy for Open Source Investigation (AAOSI). Il a été réalisé sous le parrainage de Code for Africa, avec le soutien technique de la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ) GmbH, financée par le Bundesministerium für wirtschaftliche Zusammenarbeit und Entwicklung (BMZ) et l’Union européenne (UE). AAOSI respecte l’indépendance journalistique des chercheurs, en leur offrant l’accès à des techniques et des outils avancés. La prise de décision éditoriale reste du ressort de Zaynab Sangaré. Vous souhaitez en savoir plus ? Visitez https://disinfo.africa/