Les Sénégalais sont appelés aux urnes le 31 juillet prochain pour élire leurs représentants à l’Assemblée nationale. En attendant, Seneweb braque ses projecteurs sur le Parlement sortant accusé à tort ou à raison par certains Sénégalais d’être « la pire » des Législatures.

 


 

Élus le 30 juillet 2017 et installés officiellement le 14 septembre de la même année dans leur fonction de représentants du peuple, les députés de la 13ème Législature sont loin de faire l’unanimité. En effet, beaucoup de Sénégalais s’interrogent encore sur la conformité de leur mission sur le terrain des propositions de lois et de contrôle de l’action gouvernementale où ils étaient très attendus. En plus clair, ces députés de la 13ème Législature ne semblent pas faire mieux que leurs prédécesseurs de la 12ème Législature. 

175 projets de loi et…5 propositions de loi

Depuis leur installation, les députés de la dernière Législature ont adopté 175 projets de loi, dont 27 en 2017, 30 en 2018, 21 en 2019, 46 en 2020, 32 en 2021 et 19 en 2022. 

Mais, peu de textes de loi ont émané de leurs initiatives. En termes plus clairs, ces parlementaires n’ont fait et adopté que 5 propositions de lois durant leur magistère.  Et c’est en 2019 (1), 2020 (1), 2021 (1) et 2022 (2). Ce qui pousse l’ancien député Thierno Bocoum à parler de « bilan médiocre » avec notamment « la main de l’Exécutif dans le Législatif » que celle « des députés dans le Législatif qui est leur domaine d’intervention ». Pire, pour lui, « les députés de la majorité n’ont pas pleinement joué leur rôle en ce qui concerne leur mission de contrôle de l’action gouvernementale et de l’évaluation des politiques publiques (…) Ils ont été plus des députés du Président que des députés du peuple ». Il reconnaît qu’il y a quand même eu des exceptions aussi bien dans le camp de la majorité que dans celui de l’opposition. Mais, regrette l’ancien parlementaire, « l’exception n’a malheureusement fait que confirmer la règle ».

De son côté, le maire de la capitale, Barthélémy Dias, par ailleurs tête de liste de Yewwi Askan wi à Dakar, soutient que l’Assemblée nationale est « une chambre d’enregistrement pour les désirs de Macky Sall ».

Quoi qu’il en soit, ces députés sortants n’ont presque jamais raté l’occasion pour transformer la deuxième institution de la République en ring de boxe en venant aux mains sous le regard des caméras ou en proférant des injures et invectives. On peut en rappeler la bagarre spectaculaire entre Ousmane Sonko et Amadou Mbéry Sylla, les menaces d’Aliou Dembourou Sow de sortir ses machettes contre Toussaint Manga, les vulgaires insultes proférées par celui-ci, entre autres faits et actes qui témoignent du comportement jugé inquiétant des parlementaires

Gros scandales !

D’ailleurs, on retient plutôt une législature dont le travail a été pollué par divers scandales impliquant des députés notamment du groupe de la majorité parlementaire. Il s’agit, en effet, de l’affaire de trafic présumé de faux billets de banque dans laquelle Seydina Fall alias Bougazelli s’est empêtré, alors député membre du parti au pouvoir, l’Alliance pour la République (Apr). Arrêté en flagrant délit par des Gendarmes de la Section de recherches (SR), le 14 novembre 2019, à proximité de la station d’essence de Ngor, il est placé sous mandat de dépôt à la suite de son face-à-face avec le Procureur avant de bénéficier, le 10 juin 2020, d’une liberté provisoire pour des raisons de santé. 

Près d’un an après cette libération du responsable de l’Apr à Guédiawaye, c’est au tour de deux autres députés du groupe de la majorité de faire l’objet d’une citation dans une affaire de trafic présumé de passeports diplomatiques. Il s’agit d’El Hadji Mamadou Sall et Boubacar Biaye. 

A ces dossiers scandaleux, il y a la mission d’information parlementaire sur la mise en œuvre du Programme décennal de lutte contre les inondations qui a tiré un bilan satisfaisant de ce programme malgré les interrogations sur l’utilisation des 766 milliards FCfa dégagés par l’Etat en raison de la persistance du problème des inondations à Dakar et à l’intérieur du pays. Il en est également de l’enquête parlementaire sur l’affaire des 94 milliards F Cfa qui a blanchi l’ancien Directeur général des domaines, Mamour Diallo alors que l’Ofnac qui a été saisi d’une plainte déposée par le député Ousmane Sonko, après investigation, a demandé au procureur de la République dans un rapport, d’ouvrir une information judiciaire.

A noter également l’affaire des « viols répétés et de menaces de mort » dont Ousmane Sonko est accusé par la jeune masseuse, Adji Sarr.

« Revoir les modalités de choix des députés »

Spécialiste de la communication, Jean Sibadioumeg Diatta souligne dans un entretien avec Seneweb, que même si l’Assemblée nationale a toujours été un lieu de débats souvent houleux, la dernière législature a habitué les Sénégalais à la prédominance d’une certaine violence sous toutes ses formes. « Ce comportement, caractéristique de notre nouvelle société, se retrouve dans ce lieu hautement symbolique »,  fait remarquer l’enseignant-chercheur à l’Université Assane Seck (Uasz) de Ziguinchor. Il est d’avis que l’attitude des députés ternit plus l’image de l’institution parlementaire que celle de leurs formations politiques respectives. Car, à l’Hémicycle, on parle plus de groupes parlementaires que de partis. « En communication, la question de l’image est centrale car tout tourne autour d’elle. Malheureusement, cette image du député ternit fortement celle de l’institution et on est en face d’une certaine désacralisation de l’Assemblée nationale », a-t-il rappelé. « Cette violence finit par banaliser la fonction de député », observe-t-il.

Ce qui fait dire au docteur en Sciences du langage que le choix des parlementaires doit être revu au Sénégal. « Le profilage passe inévitablement par le changement de mode de désignation du député. Il doit être choisi à la base par les électeurs en fonction de critères bien définis et non pas par le leader politique », stipule Jean Sibadioumeg Diatta. Selon lui, le meilleur profil d’un député est celui qui n’est « pas redevable au président de la République, mais aux populations à la base qui l’ont élu ».

Tout comme M. Diatta, le Professeur Moussa Diaw, enseignant-chercheur en science politique à l’Université Gaston Berger (Ugb) de Saint-Louis, considère que « l’on doit revoir les modalités de choix des députés dans un système représentatif. Plutôt que de procéder par une liste dressée par le Président sur des considérations subjectives qui font du député un acteur soumis à l’Exécutif, il faut élire le député au suffrage universel direct en fonction de la représentativité départementale faisant de lui un porte-voix de ses concitoyens, défenseur de l’intérêt général », a-t-il recommandé. A l’en croire, c’est ainsi que le parlementaire pourra jouer « pleinement » son rôle de représentant du peuple et rendre compte dans la circonscription qui l’a porté à l’Hémicycle. « Cela suppose aussi, d’après l’analyste politique, qu’il ait des compétences afin de mieux traduire les problèmes devant la représentation nationale’.

Réformer les textes

Pour le politologue, il se pose effectivement la question de niveau de compréhension découlant des exigences de la fonction de député. Alors, faudra-t-il établir des critères pour cette fonction importante dans une démocratie représentative ? « Une réflexion doit être menée dans ce sens car beaucoup d’insuffisances ont été notées relativement au rôle du député. Surtout quand des lois importantes engageant l’avenir du pays et des générations sont soumises à l’appréciation des députés pour les mettre en œuvre conformément aux attentes des citoyens et à l’Etat de droit en toute indépendance »,  explique Moussa Diaw.

En tout état de cause, conclut le communicant Jean Sibadioumeg Diatta, « il se pose surtout le problème de l’indépendance de l’institution parlementaire vis-à-vis de l’Exécutif. L’interférence du Président élu sur le fonctionnement de l’Assemblée nationale influe sur la qualité des élus et une réforme des textes s’impose ».