Le 10 octobre 2025, l’agence Moody’s Ratings a abaissé la note souveraine du Sénégal à Caa1, invoquant une trajectoire de dette publique jugée insoutenable, une montée des risques de liquidité, ainsi que des incertitudes persistantes autour du programme en cours de négociation avec le Fonds monétaire international.
Dans la foulée, le ministère des Finances et du Budget a publié un communiqué dénonçant une évaluation « spéculative » et « biaisée ». Une indignation immédiate, institutionnelle, parfois relayée par des figures politiques et des observateurs patriotes. Mais cette réaction, aussi bruyante soit-elle, ne suffit pas à masquer le fond du problème : où sont les preuves concrètes d’une gestion rigoureuse et d’un redressement crédible ?
Le gouvernement cite le Plan de Redressement Économique et Social (PRES) comme socle de sa stratégie. Pourtant, à ce jour, ce plan n’a jamais été publié dans une version officielle accessible au public. Il n’a pas été soumis au Parlement, ni débattu dans aucune enceinte institutionnelle. Il ne repose que sur une présentation PowerPoint faite par le Premier ministre Ousmane Sonko. Une initiative sans doute symbolique, mais qui ne saurait tenir lieu de document de politique publique structuré, chiffré et vérifiable.
Comment, dans ces conditions, espérer la crédibilité auprès des partenaires internationaux ? Et comment exiger la confiance des citoyens sans transparence ? Le Sénégal ne peut pas prétendre au sérieux sans livrer aux électeurs et aux bailleurs la trame de ses ambitions économiques.
Contrairement à ce que sous-entend le discours officiel, Moody’s n’a aucun intérêt à « s’acharner » sur le Sénégal. Elle évalue, en toute indépendance, le risque de crédit perçu par les marchés, à partir des informations disponibles publiquement. Ce sont les chiffres, et non les intentions, qui structurent son travail. Et ce sont les données – pas la rhétorique – qui convainquent les investisseurs.
L’État, de son côté, avance la révision du Code général des impôts comme preuve de réforme. Mais cette réforme, à dominante fiscale, intervient dans un contexte économique contraint. Elle cherche avant tout à accroître les recettes, sans qu’un filet social ou une stratégie d’accompagnement pour les PME et les ménages ne soit clairement défini. Une réforme fiscale, même bienvenue, n’est pas une politique de relance. Elle peut soutenir, mais jamais remplacer, une vision économique complète et inclusive.
Par ailleurs, Moody’s estime la dette du gouvernement central à 119 % du PIB à la fin 2024, l’un des niveaux les plus élevés parmi les pays émergents. Cette estimation est vivement contestée par les autorités sénégalaises – sans que celles-ci ne publient de contre-chiffres, d’audits indépendants ou de profil d’endettement actualisé. Encore une fois, on nie sans démontrer, on conteste sans argumenter.
Où sont les chiffres consolidés ? Où est le plan de remboursement ? Quels sont les engagements formels sur la réduction du déficit ou sur la renégociation de la dette à moyen terme ? Rien de tout cela ne figure dans les documents budgétaires actuellement disponibles.
Comme l’a récemment résumé avec justesse l’universitaire Ibou Fall :
« Le médecin pose son diagnostic, et le malade répond qu’il faut casser le thermomètre. »
La crédibilité d’un État ne se mesure pas à sa capacité à crier au complot, mais à sa capacité à faire preuve de rigueur, de transparence et de cohérence. Le Sénégal mérite un débat national sur ses finances publiques, un PRES publié, un budget lisible, et un calendrier clair sur la trajectoire budgétaire et la négociation avec le FMI.
L’indignation peut soulager à court terme, mais elle ne constitue pas une politique économique. Face à une situation aussi grave, le pays ne peut se contenter de fierté blessée et de dénonciations sans preuves. Il faut des faits, des actes, des résultats.
Le Sénégal mérite mieux que des slogans patriotiques sans chiffres. Il mérite une gouvernance de vérité.
Par Cheikhou Oumar Sy et Théodore Chérif Monteil
Anciens parlementaires
Pour La Tribune du Jeudi