Soumis à des contrôles impitoyables sur fond de rackets perpétrés par des agents guinéens, après un trajet cauchemar- desque, nos compatriotes commerçants et transporteurs vivent l’enfer à la frontière sénégalo-guinéenne, fermée de façon unilatérale depuis septembre 2020 par le président Alpha Condé. Sur place, « Le Témoin » a enquêté !

Dans la commune de Paroumba (région de Kolda), la circulation sur l’axe Dialadiang- Missirah demeure fluide malgré la ferme- ture de la frontière sénégalo-guinéenne par Conakry. Quelque 9 kilomètres séparent ces bourgs situés dans les deux pays. Il faut par- courir cette distance après le poste de contrôle de Dialadiang pour atteindre la frontière entre les deux pays. Au milieu de cette brousse, une borne géante située à droite d’une piste latéritique marque la zone tampon.
Sur place, le trafic bas son plein l’ambiance est assurée par d’incessants va et vient de mototaxis lourdement surchargées de passagers à bord desquelles les conducteurs traversent clandestinement la frontière. Une situation qui a transformé les lieux en zone de non-droit paradoxalement sous contrôle d’agents guinéens.

Au milieu de la route argileuse et des eaux stagnantes, quelques manœuvres s’activent au déchargement des camions de marchandises. La mine exténuée, dans une tenue crasseuse, le chauffeur Thierno Dieng, 39 ans, attend impatiemment que sa benne soit délestée afin qu’il puisse sortir du bourbier frontalier. « Je viens de passer deux jours ici, en provenance de Kaolack avec 30 tonnes de sel destiné au marché guinéen. Mes quelques provisions alimentaires sont épuisées. Je meurs de faim. La situation est devenue intenable. La fermeture de cette frontière fait que nous n’avons plus le droit de franchir la borne. Donc, à chaque trajet, nous sommes cloués sur place en pleine forêt et laissés à la merci des douaniers et policiers guinéens », se lamente le routier, les mains tenant ses reins en signe de fatigue. A quelques mètres de là, Omar Diagne, commerçant sénégalais, est approché par trois agents, douaniers ou policiers, guinéens. Suite à un bref marchandage fait sur le mode chuchotements, l’homme d’affaires suit les trois hommes derrière les bois au détour d’un camion. « Depuis la fermeture de cette frontière, nous sommes presque contraints de partager nos bénéfices avec ces agents. Sinon, tout déchargement de marchandises nous catégoriquement refusé. Donc, étant donné que nous ne pouvons pas traverser cette frontière, on est obligé de leur filer leur part afin d’obtenir le droit de commercer avec nos clients qui quittent l’intérieur de la Guinée pour nous rejoindre dans cette forêt », nous murmure Omar Diagne, quelques instants après s’être tiré des griffes des agents guinéens.

Le lobbying commercial et l’impitoyable système de racket
La quarantaine, en tenue kaki bleu,
chaussé de sandales en plastique, Mamadou Baldé arpente furtivement, par d’incessants va et vient, l’espace situé entre les camions garés en file indienne et le « bureau » des agents de sécurité guinéens. Président de l’association des transporteurs de Dialadiang, il quitte sa zone de confort, après chaque arrivée de voiture sénégalaise à la frontière, pour venir diriger les négociations. « Je fais la navette entre la Dialadiang et Missirah pour assurer la médiation entre les commerçants sénégalais et les hommes de tenue guinéens. Parce que c’est un circuit très complexe que ces derniers ont mis en place depuis que leurs autorités ont fermé la frontière. Dès qu’un camion sénégalais débarque dans cette zone tampon, le commerçant est obligé de verser une somme à chacun des corps de sécurité de la Guinée. Au début, seuls les douaniers et les policiers exigeaient une « motivation financière ». Maintenant, même la gendarmerie de leur pays nous envoie un de ses éléments pour recevoir sa part. Et dès qu’un seul de ces corps n’est pas satisfait, le commerçant risque de voir toute sa marchandise pourrir sur place sans qu’elle puisse être téléportée par les camions guinéens », confie le patron local des transporteurs avant d’appeler l’Etat du Sénégal à venir à leur secours face au racket dont ils font l’objet à la frontière avec la Guinée.

Les taxi-motos et l’impitoyable
système de racket


A bord d’une moto surchargée de trois
passagers, Abdou Sow, en provenance de Missirah, vient de freiner brusquement à une dizaine de mètres de la ligne de démarcation. Le jeune conducteur s’extrait de son engin puis file tout droit vers un check-point installé par les agents guinéens.

« On transporte le passager à raison de 25 mille francs le trajet entre le Sénégal et la Guinée. Mais, en réalité, on se retrouve avec 5000 francs seulement. Les 20 mille restants appartiennent aux guinéens à travers les quatre check points qu’ils ont installés sur moins d’un kilomètre de route. C’est vrai- ment pénible pour nous autres conducteurs de mototaxis. Mais on n’a pas le choix vu qu’ils nous ouvrent la frontière à condition qu’on se partage l’argent que nous gagnons dans ce trafic», se résigne le jeune conduc- teur avant d’enfourcher sa moto et d’accé- lérer vers Dialadiang.