Joe Biden a appelé lundi «le régime cubain à entendre son Peuple» et son «appel vibrant à la liberté», au lendemain de rassemblements inédits de milliers de personnes qui réclament la fin de «la dictature».
Il n’a en revanche rien dit des sanctions américaines, bien que le Président cubain Miguel Diaz-Canel, évoquant une «as- phyxie économique», leur ait imputé les «troubles sociaux» en cours sur l’île.
Les Etats-Unis imposent depuis 1962 un strict embargo économique et financier au régime castriste. Le Président démocrate Barack Obama avait, à la fin de son mandat, entamé une normalisation des relations, rapidement balayée par son successeur républicain Donald Trump. A son arrivée à la Maison Blanche, Joe Biden, qui fut le vice-président de Barack Obama, avait ordonné une réévaluation de cette politique.
La porte-parole de l’Exécutif, Jen Psaki, avait toutefois admis en mars que la question cubai- ne n’était «pas à l’heure actuelle une des priorités du Président Biden».
D’autres sujets, à commencer par les flux migratoires depuis l’Amérique centrale, ont retenu l’attention immédiate du nouveau Président, souligne Ryan Berg, spécialiste de l’Amérique latine au Center for strategic and international studies.
Le sujet de l’immigration «a naturellement pris le pas sur un pays qui est figé dans le temps depuis plus de 60 ans», explique-t-il. «C’est dur de faire bouger quoi que ce soit à Cuba et on a essayé de nombreuses choses.»
«L’histoire s’en rappellera»
Pour cet expert, les manifestations pourraient toutefois forcer le gouvernement démocrate «à finir son évaluation et, au moins, l’empêcher d’ignorer Cuba». «En même temps, ça risque d’être difficile de s’ouvrir à un gouvernement qui envoie la police anti-émeutes pour réprimer une contestation apparemment spontanée», relève-t-il.
Depuis dimanche, les Républicains, qui soutiennent une ligne dure envers le régime cas triste, réclament une réponse ferme face à la répression des manifestants.
Le sénateur républicain Marco Rubio a jugé «scandaleuse» la première réaction de l’Administration démocrate : un tweet d’une diplomate imputant les manifestations à la hausse des cas de Covid-19 sur l’île. «Joe Biden doit s’opposer au régime communiste, sinon l’histoire s’en rappellera», a renchéri lundi l’ex-Président Trump.
Mais Joe Biden, comme l’avait fait Barack Obama au moment de la répression de la contestation en Iran en 2009, a adopté un ton mesuré, soucieux de ne pas alimenter la rhétorique du régime castriste, prompt à accu- ser les Etats-Unis de fomenter la crise. Blâmer les Etats-Unis est
«une grave erreur», a juste rétorqué son chef de la diplomatie, Antony Blinken.
«Microscope
politique»
Pendant sa campagne, Joe Biden avait évoqué l’idée de lever les restrictions sur les voyages de touristes américains vers l’île des Antilles, située à 145 km de la Floride, et les transferts de fonds entre particuliers.
Son gouvernement n’a pas encore donné suite et n’a rien dit de l’inscription de Cuba sur la liste noire des Etats soutenant le terrorisme, décidée à la dernière minute par l’Admi- nistration Trump, et synonyme de lourdes sanctions.
Le dossier est plombé par des considérations de politique intérieure : les Américains d’origine cubaine, très majoritairement anti-castristes et fermement opposés à toute levée des sanctions, représentent un électorat décisif dans l’Etat-clé de Floride, conservé par
Donald Trump en novembre 2020.
De plus, les Démocrates n’ont qu’une courte majorité au Congrès et l’influent chef de la commission sénatoriale des Affaires étrangères, Bob Menendez, est d’origine cubaine et tenant d’une ligne plus dure que les autres Démocrates envers le régime castriste.
Dans ce contexte, John Kavulich, président du Conseil économique et commercial entre les Etats-Unis et Cuba, pense que les manifestations vont forcer Joe Biden à terminer l’évaluation lancée en janvier, mais ne croit pas possible de revenir à la situation de 2016.
Pour lui, «chaque micron de la politique des Etats-Unis envers la République de Cuba est vu par l’Administration Biden au travers d’un microscope politique : obtenir les lois, les nomi- nations, le budget, le plan d’infrastructures et les autres mesures (à son agenda législatif) pour 2021, puis préparer les élections de 2022 et 2024».