L’article 3 alinéa 2 du décret n°2021-976 du 26 juillet 2021 portant révision exceptionnelle des listes électorales, en vue des élections départementales et municipales du 23 janvier 2022, conditionne l’inscription des primo inscrits sur les listes électorales à la « présentation exclusive de la carte d’identité biométrique CEDEAO ». Cette restriction viole les dispositions de l’article 25 du pacte international des droits civils et politiques de 1966 et est en totale contradiction avec le contenu du rapport de présentation du ministre de l’intérieur qui précise que « cette révision a pour but de permettre particulièrement aux jeunes citoyens sénégalais âgés de 18 ans révolus à la date du scrutin, de pouvoir s’inscrire sur les listes électorales ». De fait, la conditionnalité qui lie l’inscription des primo-votants sur les listes électorales à la présentation exclusive de la carte d’identité biométrique CEDEAO, prive des centaines de milliers de jeunes citoyens sénégalais (primo-votants) de la possibilité d’exercer leur droit de vote et constitue une atteinte extrêmement grave à une liberté fondamentale : le droit de vote des primo-votants.

Le Droit de vote est un Droit constitutionnel ; un droit fondamental garanti par l’alinéa 4 de l’article 3 de la Charte suprême. Dès lors qu’un citoyen a effectué toutes les démarches légales requises pour obtenir une carte d’identité biométrique CEDEAO et qu’il est muni d’un récépissé en bonne et due forme, délivré par l’administration, il s’est conformé à la loi et a accompli son devoir en vue de pouvoir exercer son droit de vote. Il convient de préciser que toute la chaîne administrative allant du recueil des demandes de cartes d’identité CEDEAO à leur délivrance est contrôlée par l’état. En effet, le recueil des demandes de cartes d’identité biométriques CEDEAO, la vérification et la validation des demandes ainsi que la production et la mise à disposition desdites cartes à leurs ayants-droits est du ressort exclusif des services du Ministère de l’Intérieur. Par conséquent, tous les dysfonctionnements ou lenteurs constatés dans l’édition, la production ou la distribution des cartes d’électeurs relèvent de la responsabilité exclusive du Ministère de l’Intérieur et ne sauraient priver des centaines de milliers de jeunes sénégalais de l’exercice du droit de vote (une liberté fondamentale).

La responsabilité première d’un Etat, c’est d’identifier ses nationaux et de leur délivrer une pièce d’identité. Tout citoyen sénégalais qui en formule la demande doit être titulaire d’une pièce d’identité. Les autorités administratives ne peuvent en aucun cas, exiger à un citoyen de présenter une carte d’identité CEDEAO pour s’inscrire sur les listes, alors qu’elles sont incapables de délivrer aux citoyens qui ont fait la démarche, une carte d’identité biométrique CEDEAO. C’est un fait : à ce jour, des dizaines de milliers de sénégalais n’ont pas de carte d’identité biométrique CEDEAO. Exiger aux primo-inscrits une carte biométrique CEDEAO pour pouvoir figurer sur les listes électorales, comme le prévoit le décret n°2021-976 constitue une restriction totalement injustifiée, un empêchement planifié, et une atteinte grave et illégale à une liberté fondamentale : le droit de vote.

Il y a une volonté claire, manifeste et délibérée du régime de Macky Sall, d’entraver l’exercice du droit de vote des jeunes primo-inscrits. Le recours du FRAPP en date du 05 aout 2021 contre le décret n°2021-976 portant révision exceptionnelle des listes électorales, via une saisine de la Cour suprême, dans le cadre d’un référé -liberté a été enregistré sous le numéro J/290/RG/2021. Aux termes de l’article 85 de la Loi organique n° 2017-09 du 17 janvier 2017 sur la Cour suprême, « lorsqu’il est saisi d’une demande justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale ».

L’article 85 de la loi du 17 janvier 2017 qui institue le référé liberté impose un délai et oblige le juge administratif à se prononcer dans un délai de 48 heures : « le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ». Ce qui caractérise le référé-liberté, c’est l’urgence.  Or, dans le cas d’espèce, l’urgence est dictée par les délais imposés par le décret 2021-976 du 26 juillet 2021 qui précise que la révision exceptionnelle doit se dérouler dans un délai relativement court (du 31 juillet 2021 au mardi 14 septembre 2021) sur l’ensemble du territoire national. Il y a urgence à statuer pour garantir le droit de vote des primo-votants. Le référé-liberté est une procédure d’urgence qui permet au juge de prendre des mesures provisoires pour s’assurer qu’il ne sera pas porté atteinte de manière irréversible à une liberté fondamentale. Ce n’est pas un hasard si un délai de 48 heures a été fixé par la loi. Le juge des référés doit statuer très rapidement pour pouvoir « neutraliser » à titre provisoire, la mesure administrative. L’article 83 de la loi organique du 17 janvier 2017 sur la Cour suprême dispose que le juge statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire et n’est pas saisi du principal). La procédure de référé et la procédure au fond sont totalement déconnectées.

Le FRAPP a saisi la Cour suprême, via un référé-liberté le 05 aout 2021 ; or nous sommes aujourd’hui le dimanche 15 aout 2021 (le délai de 48 heures a largement été dépassé). Le référé liberté n’existait pas dans la loi organique n°2008-35 du 07 aout 2008 portant création de la Cour suprême. C’est un nouveau mécanisme introduit dans la loi organique de 2017. La Cour suprême a repris textuellement les dispositions françaises sur le référé liberté. Encore faudrait-il qu’elle soit réellement en capacité de donner sens à ce nouvel outil (procédure d’urgence). Au regard de l’office du Juge, la procédure d’urgence suppose une culture nouvelle et la capacité de faire évoluer le contentieux administratif, dans le sens d’un traitement efficace de l’urgence. Le décret n°2021-976 du 26 juillet 2021 portant révision des listes électorales, qui porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale des primo-votants (droit de vote) est une opportunité pour le juge des référés de prouver qu’il a parfaitement intégré les enjeux liés à la procédure d’urgence. En conditionnant l’inscription sur les listes électorales à la présentation exclusive de la carte biométrique CEDEAO, des centaines de milliers de jeunes citoyens seront exclus délibérément des listes électorales, par le régime en place et privés du droit de vote.  Il y a une urgence à statuer.

Tous les primo-votants titulaires d’un récépissé de demande d’une carte biométrique CEDEAO doivent pouvoir s’inscrire sur les listes électorales. Lors de la révision exceptionnelle des listes électorales en vue de l’élection présidentielle du 24 février 2019, les primo-votants pouvaient s’inscrire sur les listes électorales, soit sur présentation de la carte biométrique CEDEAO, soit sur présentation d’un récépissé pour les citoyens dont la carte n’a pas été établie (cf la page 23 du rapport de la CENA de 2019). Pour permettre au plus grand nombre de jeunes primo-votants d’accomplir leur devoir civique lors des élections locales de 2022, il convient d’élargir la liste des documents permettant aux citoyens de pouvoir s’inscrire sur les listes électorales (passeport, copie littérale d’acte de naissance datant de moins d’un an accompagnée d’un certificat de résidence). Pour rappel, le décret n°2016-2034 du 19 décembre 2016 acceptait comme preuve de l’identité du citoyen, la production d’un extrait de naissance datant d’au moins un an, accompagné d’un certificat de résidence. Il faudra néanmoins veiller à que les extraits de naissance et les certificats de résidence ne soient délivrés de manière frauduleuse. En 2017, le régime de Macky SALL avait procédé à des fraudes massives et procédé à des transferts massifs d’électeurs.

Dans le rapport de la MAFE de 2018 (mission d’audit du fichier électoral), plus précisément à la page 35, il est écrit : « Des certificats de résidence de complaisance ont été délivrés par des maires afin d’opérer des transferts d’électeurs fictifs dans leur circonscription. Ces tentatives de fraude sont allées de pair avec la production de faux extraits de naissance et pourraient influencer les résultats des élections locales prévues en 2019 ». Dans le département de GOUDIRY, le compte rendu de la mission de vérification à la CEDA du 19 mai 2017, a signalé un nombre extrêmement élevé d’extraits de naissance frauduleux sur les 38 000 inscrits enregistrés. Pour prouver la fraude massive, le Président de la CEDA à l’époque, M. Mamadou Diouldé Diallo avait livré un échantillon de plusieurs dizaines extraits, qui après vérification, comportait tous des preuves flagrantes de faux et usage de faux. Dans de nombreuses communes « APR », il y a eu un gonflement inédit et des transferts massifs d’électeurs. Souvent, les partisans du régime entonnent, tel un refrain, la formule suivante : « depuis 2012, nous avons remporté toutes les élections contre l’opposition ». Les sénégalais le savent parfaitement : la seule élection que Macky Sall a remporté de manière certaine, transparente, et démocratique, c’est l’élection présidentielle de 2012. Tous les scrutins qui se sont déroulés après 2012 ont donné lieu à des fraudes massives (lors des législatives de 2017, des centaines de milliers de sénégalais ont été privés de droit de vote et les résultats à Dakar, ont été totalement inversés). En 2019, le taux improbable de 58% obtenu par Macky Sall au 1er tour est totalement fictif. Il n’y a aucune gloire à revendiquer la victoire lors d’élections faussées. Macky Sall ne gagne pas les élections ; il organise des élections truquées, prive de vote des centaines de milliers d’électeurs, et planifie la fraude, avec la complicité de l’administration. L’idée selon laquelle il est impossible de voler une élection au Sénégal est une légende.

Pour conclure, il n’existe aucun obstacle juridique empêchant que les jeunes âgés de 18 ans puissent s’inscrire sur les listes électorales, même s’ils ne sont pas titulaires de la carte d’identité biométrique CEDEAO. En 2017, le Conseil Constitutionnel a ouvert la brèche. Dans sa décision n° 8/2017 du 26 juillet 2017, Le Conseil constitutionnel, a souligné que le Droit de vote est un droit fondamental, et précisé que des dysfonctionnements non imputables aux citoyens ne sauraient priver ces derniers de l’exercice de ce Droit. Le juge administratif, judiciaire ou constitutionnel est gardien des droits et libertés. La Cour suprême doit statuer sans délai sur le recours du FRAPP et ordonner les mesures provisoires nécessaires afin de sauvegarder une liberté fondamentale des primo-votants (droit de vote). Le scepticisme doit être de mise quant à l’issue de la requête du FRAPP, car dans son ordonnance n°05 du 07 mai 2020, le Président de la chambre administrative désigné en qualité de juge des référés (Abdoulaye N’DIAYE) avait, par des motifs fallacieux, rejeté la requête en référé-liberté introduite par un Collectif de la diaspora sénégalaise « contre la décision du Ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’Extérieur d’interdire le rapatriement des dépouilles des Sénégalais décédés à l’étranger du Covid-19 ». Comble du ridicule, la Cour suprême avait été par la suite désavouée par Macky Sall himself qui a ordonné le rapatriement des corps en ces termes : « Tenant compte de la forte demande de rapatriements de corps de nos compatriotes décédés du Covid-19 à l’étranger, et sur la base d’avis motivés, il sera désormais possible de procéder à ces rapatriements ».

Une chose est sûre : si les jeunes qui sont en âge de voter sont exclus du vote par des artifices, et si des mesures idoines ne sont pas prises pour leur permettre d’exercer pleinement leur citoyenneté ; c’est la voie ouverte à la violence et au chaos : attention au pouvoir de la rue !