Dakar – En quittant la liste grise du Groupe d’action financière (GAFI) en octobre 2024, le Sénégal a franchi un cap symbolique dans la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Cette sortie n’a pas été obtenue sans effort, en sus, elle couronne plusieurs années de réformes structurelles, de renforcement institutionnel et d’actions concertées pilotées par la Cellule nationale de Traitement des Informations financières (CENTIF), dont le dernier rapport d’activités révèle une intensification significative du dispositif national.

L’année 2024 a vu une progression remarquable des signalements d’opérations suspectes avec 928 déclarations reçues par la CENTIF, en hausse de 15 % par rapport aux 807 enregistrées en 2023. Les banques et établissements financiers demeurent les premiers contributeurs avec 769 déclarations, soit plus de 82 % du total. Les systèmes financiers décentralisés, les établissements de monnaie électronique ainsi que d’autres institutions non financières complètent le paysage déclaratif, illustrant une appropriation croissante des obligations légales en matière de conformité. Dans le même temps, le nombre de déclarations de transactions en espèces a connu une explosion sans précédent, passant de 16 993 410 en 2023 à 42 735 186 en 2024, une hausse spectaculaire de 151 % qui témoigne d’un renforcement de la vigilance, notamment de la part des émetteurs de monnaie électronique.

En analysant la nature des infractions présumées à l’origine des signalements, la fraude reste en tête avec 554 cas, contre 473 l’année précédente, soit une progression de 17 %. La corruption suit avec 138 signalements, tandis que les infractions fiscales pénales ont doublé, passant de 33 en 2023 à 66 en 2024. Les violations de la réglementation des changes figurent également parmi les préoccupations croissantes, illustrant les vulnérabilités structurelles du cadre de contrôle économique.

Le traitement opérationnel de ces informations s’est également intensifié. En 2024, la CENTIF a initié 2 172 demandes d’informations nationales, contre 1 186 l’année précédente, soit une progression de 83 %. Les établissements financiers demeurent les premiers récepteurs de ces demandes, avec plus de 1 400 sollicitations. À l’inverse, les échanges internationaux d’informations ont connu une baisse significative, avec seulement 63 demandes enregistrées en 2024, contre 88 en 2023. Ce recul s’explique principalement par une diminution des demandes sortantes, et non par un affaiblissement de la coopération, qui reste solide notamment avec le GIABA, le Groupe Egmont et les autres unités de renseignement financier partenaires.

Sur le plan judiciaire, les rapports transmis au Procureur de la République en cas d’indices graves et concordants de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme sont passés de 43 à 46 en un an, soit une hausse de 7 %. Cependant, le nombre d’investigations effectivement poursuivies a reculé de manière marquée : seulement 9 en 2024, contre 25 en 2023, ce qui interroge sur l’aboutissement effectif des efforts en amont. Dans le même temps, le nombre de dossiers classés a connu une légère augmentation, soulignant le besoin de renforcer l’articulation entre les services d’enquête financière et le parquet.

Au-delà des chiffres, le rapport 2024 révèle des tendances inquiétantes dans les schémas de blanchiment. L’escroquerie sur les deniers publics, via l’usage de prête-noms, de bons de caisse ou de dépôts à terme dans des sociétés civiles immobilières, figure parmi les cas les plus documentés. L’examen de comptes bancaires appartenant à une Personne Politiquement Exposée (PPE) surnommée «Monsieur Alpha» a mis au jour des circuits financiers complexes impliquant de multiples structures écrans. D’autres dossiers relèvent du financement illicite transitant par des consultants ou des entreprises écrans, utilisés pour blanchir des fonds issus de la corruption, du trafic d’influence ou de l’association de malfaiteurs. Le secteur des jeux en ligne est également pointé du doigt, en tant que vecteur émergent de blanchiment de capitaux. Des flux transfrontaliers d’argent transitent via des plateformes de jeux, camouflant des transferts d’origine douteuse, souvent en lien avec des mouvements de fonds de particulier à particulier ou des virements depuis l’Europe.

En matière de renforcement des capacités, la CENTIF a poursuivi la formation de ses agents et de ses partenaires nationaux. En 2024, 158 professionnels des secteurs financier et non financier ont été sensibilisés au dispositif LBC/FT à travers des ateliers techniques et des sessions interactives. L’intégration de nouveaux membres au sein de la cellule, issus de diverses institutions de l’État, a renforcé son expertise multisectorielle.

Malgré ces avancées, la sortie de la liste grise ne marque pas la fin du combat. Elle impose au contraire un devoir de consolidation et de vigilance continue. Pour 2025, la CENTIF entend poursuivre ses efforts à travers une réévaluation stratégique de ses capacités opérationnelles et une préparation active à la prochaine évaluation mutuelle du GIABA, prévue en février 2026. L’accent sera mis sur l’amélioration du cadre de gestion des risques, la supervision du secteur non financier et la coordination nationale entre autorités de contrôle, régulateurs et forces judiciaires.

Alors que le Sénégal s’efforce de bâtir une économie transparente, résiliente et attractive, la lutte contre la criminalité financière demeure un levier crucial pour préserver la confiance des investisseurs, garantir la bonne gouvernance et assurer la soutenabilité de ses engagements financiers dans un contexte de pression budgétaire croissante. Zaynab SANGARÈ